Représentation géométrique de l’absolument Autre comme aboutissement inatteignable

Petit extrait de mon mémoire sur L’autre chez Emmanuel Lévinas, où je propose très très rapidement une conception géométrique hyperbolique de la relation à l’autre, et en particulier à l’absolument Autre.

Si l’autre est l’aboutissement du chemin, alors cela signifie que le chemin se termine lorsque l’on arrive à l’autre. Pourtant, comme nous l’avons déjà constaté, pour que l’autre reste autre il ne peut être intégré au moi. L’autre, ainsi, reste toujours absolument autre. Il est comme un horizon qui ne cesse de s’éloigner à mesure que l’on chemine vers lui. L’absolument Autre est transcendant, inatteignable, horizon lointain dont on ne cesse de s’approcher sans pourtant jamais l’atteindre. Mais à la différence de l’horizon, l’Autre est devant moi, visible, accessible1.
Pour se représenter cela, une conception euclidienne ne convient pas. En revanche, le disque de Poincaré est plus adapté2. Dans ce disque, plus nous nous rapprochons du bord du disque, plus il nous semble nous en éloigner car notre vitesse d’approche et notre taille diminuent au fur et à mesure. Il en est de même avec l’Autre : plus je m’approche de lui, plus je constate son altérité, et la grandeur de son altérité, qui font que je suis toujours loin de lui.
Nous constatons que nos représentations peuvent être changées par la rencontre de l’Autre. En effet, sortir du modèle euclidien au profit de ce modèle non euclidien, dit hyperbolique, ne nous est pas familier. Il n’est pas au programme des enseignements primaires et secondaires, et n’est pas une partie importante des études supérieures en mathématiques. On peut donc s’interroger sur l’impact de ces représentations mentales sur la rencontre avec l’autre. Nous avons constaté qu’une représentation de l’espace hyperbolique, à courbure négative, est adaptée à la compréhension de l’autre comme aboutissement duquel on peut sans cesse se rapprocher sans jamais l’atteindre. Une représentation euclidienne de l’espace, à courbure nulle, ne permet pas cela : un rapprochement vers l’autre mène nécessairement à une fusion avec l’autre. Cela permet de représenter de façon simple les difficultés rencontrées par un couple dans lequel les deux personnes se pensent être les mêmes, ou encore celles de mystiques recherchant l’union totale avec Dieu. Ces enjeux pourraient être intéressants à traiter sur le plan sociologique, mais en dehors de notre sujet. Pour revenir à nos représentations spatiales, il reste le cas d’un espace à courbure positive, c’est-à-dire un espace sphérique. Cet espace permet de représenter le cas où le Même et l’Autre représentent une totalité qu’est l’espace sphérique tout entier. Si je me rapproche sans cesse de l’Autre dans cet espace, je finis par revenir sur moi, par revenir au Même. Il s’agit du cas où le moi, dans la représentation proposée précédemment, est épais au point de remplir la sphère en une boule de moi.

  1. Il s’agit du cas où je vois le visage de l’autre. Nous avons remarqué précédemment que l’Autre comme absolument autre est invisible, dans quel cas la comparaison avec l’horizon est plus pertinente. Malgré cela, l’absolument Autre est compatible aussi avec la comparaison proposée dans ce qui suit.
  2. Le « disque de Poincaré » est un disque définit par Henri Poincaré dans La science et l’hypothèse selon ces mots :

    La température n’y est pas uniforme ; elle est maxima au centre, et elle diminue à mesure qu’on s’en éloigne, pour se réduire au zéro absolu quand on atteint la sphère où ce monde est renfermé.

    Je précise davantage la loi suivant laquelle varie cette température. Soit R le rayon de la sphère limite ; soit r la distance du point considéré au centre de cette sphère. La température absolue sera proportionnelle à R2 – r2.

    Je supposerai de plus que, dans ce monde, tous les corps aient même coefficient de dilatation, de telle façon que la longueur d’une règle quelconque soit proportionnelle à sa température absolue.

    Je supposerai enfin qu’un objet transporté d’un point à un autre, dont la température est différente, se met immédiatement en équilibre calorifique avec son nouveau milieu.

    Rien dans ces hypothèses n’est contradictoire ou inimaginable.

    Un objet mobile deviendra alors de plus en plus petit à mesure qu’on se rapprochera de la sphère limite.

    Observons d’abord que, si ce monde est limité au point de vue de notre géométrie habituelle, il paraîtra infini à ses habitants.

    Quand ceux-ci, en effet, veulent se rapprocher de la sphère limite, ils se refroidissent et deviennent de plus en plus petits. Les pas qu’ils font sont donc aussi de plus en plus petits, de sorte qu’ils ne peuvent jamais atteindre la sphère limite.

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